Le grand pin et le bouleau
Conte du Québec – adapté d’un conte Ojiboué
Il y a bien longtemps, avant que les hommes
n’arrivent dans le pays, les arbres étaient capables de parler. Le
bruissement de leurs feuilles était leur langage calme et reposant.
Lorsqu’ils agitaient leurs branches en tous sens dans le vent violent,
leurs paroles étaient des discours pleins de courage ou remplis de
peur.
La
forêt était peuplée d’une multitudes d’arbres de toutes sortes.
L’érable laissait couler sa sève sucrée pour les oiseaux assoiffés.
Un grand nombre d’oiseaux nichaient dans ses branches. Les merles
venaient déposer leurs petits œufs bleus dans des nids bien installés.
L’érable les protégeait du vent et de la pluie, toujours prêt à
rendre service. Il était respecté aux alentours. Pas
bien loin de lui, un orme élevait ses longues branches vers le ciel.
L’orme aimait le soleil et chacune de ses branches s’élançaient
vers ses rayons. Les orioles, des oiseaux ressemblant aux rouges-gorge
mais en plus petit construisaient leurs nids-balançoires dans sa ramure
sachant qu'ils se trouvaient à l'abri dans les hauteurs. Plus
loin encore, le thuya offrait durant l’hiver l’hébergement à des
familles entières d'oiseaux. Lorsque le froid faisait rage, le thuya
refermait ses épaisses branches sur eux et les gardait bien au chaud.
Les oiseaux étaient si confortablement installés qu'ils mettaient du
temps, le printemps venu, à quitter leurs logis dans le thuya. Le
bouleau se tenait à peu de distance. Il était mince et élégant et
son écorce douce et blanche le distinguait des autres. Ses bras souples
et gracieux s'agitaient à la moindre brise. Au printemps, ses feuilles
vert tendre étaient si fines qu'elles laissaient passer la lumière du
soleil au travers. Quand
les hommes arrivèrent dans ces lieux, ils se servirent de l'écorce du
bouleau pour fabriquer des canots, des maisons et même les récipients
dans lesquels ils cuisaient leurs aliments. Mais
il arriva un jour que le bouleau, à cause de sa beauté, se mit à mépriser
tout le monde. Le
grand pin était le roi de la forêt. C'est à lui que chaque arbre
devait faire un salut en courbant la tête un peu comme on manifeste
son obéissance au roi. Et ce roi était le plus grand, le plus
majestueux, le plus droit de tous les arbres de la forêt. En plus de sa
taille, sa magnifique vêture vert foncé assurait son autorité. Un
jour d'été, la forêt resplendissait des parfums et des couleurs de
milliers de fleurs et un éclatant tapis de mousse recouvrait les coins
ombragés du sol. Une quantité d'oiseaux, des gros, des petits, des
bleus, des gris, des jaunes et des rouges, n'arrêtaient pas de chanter.
Les arbres bougeaient doucement et agitaient leurs feuilles qui étaient
des rires et des gais murmures de contentement. L’érable remarqua que
le bouleau ne participait pas à cette réjouissance collective. - Es-tu malade, bouleau ?
demanda le gentil érable. -
Pas du tout, répondit le bouleau en agitant ses branches de façon
brusque. Je ne me suis jamais si bien senti. Mais pourquoi donc
devrais-je me joindre à vous qui êtes si ordinaires ? L’érable,
surpris de cette réponse, se dit que le roi grand pin ne serait pas
content d'entendre de telles paroles. Car la première tâche de Grand
Pin était de faire respecter l'harmonie parmi ses sujets. -
Tais-toi ! dirent les arbres au bouleau. Si le grand pin t'entend... Tous
les arbres étaient très solidaires les uns des autres comme le sont
les frères et les sœurs qui s'entraident. Seul, le bouleau refusait
l'amitié de ses compagnons. Il se mit à agiter ses branches avec mépris
et déclara : -
Je me fiche bien du roi. Je suis le plus beau de tous les arbres de la
forêt et dorénavant je refuserai de courber la tête pour le saluer ! Le
grand pin, qui s'était assoupi, s'éveilla tout d'un coup en entendant
son nom. Il secoua ses fines aiguilles pour les remettre en place et s'étira,
s'étira en redressant son long corps. -
Bouleau, que viens-tu de dire ? lança-t-il. Tous
les arbres se mirent à trembler car ils se doutaient bien que la colère
grondait dans le cœur du grand pin. Mais le bouleau ne semblait
nullement craindre sa colère. Il étala ses branches avec dédain, les
agita dans un sens et dans l'autre et dit d'un ton hautain : -
Je ne vais plus vous saluer, grand pin. Je suis le plus bel arbre de la
forêt, plus beau que tous les autres, plus beau même que vous ! Le
grand pin se fâcha. Ses bras se mirent à s'agiter bruyamment. Et tous
les arbres attendirent dans le plus grand silence la suite des événements. -
Bouleau, lança le roi pin, tu es devenu vaniteux ! Je vais t'apprendre
une leçon que tu n'oublieras jamais. Le
grand pin se pencha en direction du bouleau et frappa sa tendre écorce
de toutes ses forces. Ses aiguilles lacérèrent la douce peau blanche
du bouleau. Enfin,
il dit : -
Que tous apprennent par toi, bouleau, que l’orgueil et la vanité sont
mauvais. Depuis ce jour, l'écorce de Bouleau est marquée de fines cicatrices noires. C'est le prix qu'il dut payer pour sa vanité. Tous les membres de sa famille, sans exception, ont gardé, marquée dans leur peau, la trace de la colère du roi grand pin. |