- Par pitié, ma
bonne dame, la charité ! implora la mendiante. Elle
avait senti au loin la bonne odeur des pois chiches qui
séchappait par la fenêtre.
- Jen ai déjà si peu pour moi que si je vous en
donne, il ne men restera plus, répondit la femme.
- Eh bien, que tous tes pois chiches se transforment en
enfants à ta charge ! vociféra la pauvresse qui
nétait autre quune sorcière.
Au même moment séchappèrent de la marmite des
enfants par dizaine. Il y avait autant denfants
quil y avait de pois. Ils étaient minuscules et se
mirent à crier et à pleurer tous en même temps :
- Jai faim, jai froid, jai ma. Maman,
prends-moi sur tes genoux, Maman, Maman ...
La femme prit peur et se mit elle aussi à crier et à
gesticuler dans tous les sens. Les enfants
senfuirent par toutes les fentes de la maison, par
les fenêtres et par la porte. Puis, ce fut le silence.
La femme réalisa que les enfants avaient tous disparus.
Elle se mit à pleurer :
- Mon Dieu ! pourquoi nen ai-je pas gardé un
seul ? Il aurait pu maider un peu ;
serait aller porter le déjeuner à mon homme ! et
elle commença à fouiller chaque recoin de la maison.
Elle regarda dans tous les pots, les casseroles, sous les
tapis ... Rien. Elle se remit à pleurer de plus belle et
sassit la tête entre les mains.
Quelle ne fut pas
sa surprise dentendre une toute petite voix lui
dire :
- Ne pleure pas, Maman. Moi, je suis là !
Elle regarda sur le pilon du mortier et y découvrit un
tout petit garçon, gros comme un pois chiche. Il avait
les poings sur les hanches et la regardait avec
intensité.
- Ah ! Mon petit amour ! dit la femme. Comment
tappelles-tu ?
- Chichelin, répondit lenfant qui se laissa
glisser le long du mortier avec adresse.
- Viens mon tout petit ! Tu vas aller porter son
repas à ton père qui travaille dans sa boutique, dit la
femme.
Elle posa sur la tête de lenfant un panier
tellement grand quon aurait pu croire que le panier
se déplaçait tout seul. Lenfant arriva à la
boutique et cria :
- Bonjour, père ; jai apporté votre
déjeuner.
Lhomme se demanda sil navait pas
rêvé. Il navait pas denfant et qui donc
avait bien pu lappeler
" Père " ?
Il savança sur la devanture de la boutique et vit
le panier rempli de vivres. Il le souleva et découvrit
...
- Je suis Chichelin, né ce matin même dans votre
cuisine dun pois chiche, dit lenfant
dune voix joyeuse.
- Bienvenue à toi, mon fils. Mange avec moi un morceau.
Si tu veux, je temmènerai en tournée. Je fais le
métier de rémouleur et je parcours les villages afin
daffûter les outils, les couteaux et les ciseaux.
Après le repas,
ils partirent à la recherche de travail. Ils discutaient
tout au long du chemin tant et si bien que les gens qui
rencontraient le rémouleur le croyait devenu fou.
Arrivé dans la cour dune ferme où il avait
souvent de louvrage, il se mit à crier sa
harangue.
- " Couteaux, ciseaux, outils à aiguiser -
Bonnes gens, ne laissez pas le rémouleur
passer "
Le fermier sortit à son appel et lui dit :
- Jaurais bien eu des outils à affûter pour toi
mais je nai nulle envie de les confier à un homme
qui a perdu sa raison.
- Que dis-tu, demanda le père ? Un homme qui a
perdu sa raison ? Voudrais-tu dire que je suis
devenu fou ?
- Ben oui, un homme qui parle seul est forcément un fou,
répondit le fermier.
- Mais je ne parlais pas tout seul ; je parlais avec
mon fils, expliqua le rémouleur.
- Cest bien ce quil disait, renchérit la
fermière qui avait rejoint son mari, tu es devenu fou.
Où est-il ton fils ?
- Dans ma poche, tout simplement.
Tous les gens de la ferme sétaient approchés et
riaient de bon cur. Le rémouleur mit la main dans
sa poche et en ressortit Chichelin qui se tenait à
califourchon sur son pouce.
Tout le monde fut
enthousiasmé par ce petit enfant. Le fermier demanda au
rémouleur de le lui prêter afin quil garde son
buf. Chichelin sinstalla sur la corne du
buf et on les laissa dans le champs. Deux voleurs
qui passaient par là virent lanimal et crurent
quil nétait pas gardé. Au moment où ils
sapprochèrent Chichelin se mit à hurler :
- Au voleur ! Au voleur !
Le paysan accourut dès les premiers cris et trouva les
deux voleurs cloués sur place.
- Doù vient cette voix, demandèrent-ils ?
- Cest Chichelin. Regardez-le, il est perché sur
la corne du buf.
- Prête-le nous, tu en seras largement récompensé,
dirent les voleurs.
Le fermier accepta et Chichelin partit avec les voleurs
pour les écuries du Roi. Elles étaient bien entendu
fermées à clé mais Chichelin passa par la serrure et
ouvrit la porte. Il détacha les chevaux, se percha sur
loreille dune jument et entraîna le troupeau
dehors. Les voleurs sautèrent en selle et
senfuirent au galop vers leur repaire.
- Nous sommes trop
fatigués, dirent-ils à Chichelin. Donne à manger aux
animaux. Nous allons dormir un peu.
Chichelin remplit sa tâche mais, fatigué lui aussi, il
tomba dans une mangeoire et sendormit. Un cheval
lavala avec lavoine sans sen rendre
compte. Lorsque les voleurs se réveillèrent, ils
cherchèrent Chichelin.
- Chichelin, Chichelin, où es-tu ?
- Je suis là, répondit lenfant dans la panse du
cheval !
- Oui, mais quel cheval ?
- Celui-ci !
- Lequel ?
- Celui-ci !
Ils pensaient avoir trouvé lequel et se mirent à lui
ouvrir le ventre mais point de Chichelin. Ils ouvrirent
un second, un troisième, un quatrième cheval mais
toujours rien. Tout le troupeau y passa mais toujours pas
de Chichelin. Le troupeau en entier fut éventré. Ils se
débarrassèrent des carcasses et un loup qui passait par
là profita de laubaine. Il goba Chichelin sans
sen rendre compte. Voilà lenfant dans le
ventre du loup.
Le loup était
très gourmand et avait encore faim. Il repéra une
chèvre qui broutait dans un pré. Au moment où il
allait bondir, Chichelin se mit à hurler :
- Au loup, au loup ! dune voix si puissante
que le berger arriva armé dun bâton.
Le loup ne demanda pas son reste et senfuit vers sa
tanière. Il se posait des questions : comment son
ventre sétait-il mis à crier ? Sans doute
avait-il encore faim et il repartit en direction de la
bergerie. Il guetta, rampa, se faufila et au moment où
il allait bondir sur un agneau, Chichelin se mit à
crier :
- Au loup, au loup ! dune voix puissante. Le
Berger réveillé en sursaut, se leva dun bond et
partit à la poursuite du loup. Celui-ci rentra dans sa
tanière. Toujours les mêmes questions lui
tournaient dans la tête : pourquoi son ventre
sétait-il mis à crier ? Il se dit quil
avait trop dair et se concentra pour expulser cet
air. Chichelin fut projeté et se retrouva dehors. Il
courut se cacher dans un buisson.
Il y trouva trois
voleurs qui étaient en train de compter largent
quils avaient volé. Lun deux faisait
les parts :
- Un, deux, trois, quatre, cinq
- Sept, quatre, deux, trois reprend en écho Chichelin
- Suffit, dit le voleur ! en regardant ses complices
avec un air réprobateur. Je narrive pas à
compter.
- Un, deux, trois, quatre, cinq
- Sept, quatre, deux, trois repris le rusé Chichelin
Celui qui comptait se rua sur son complice et le roua de
coups. Il le laissa pour mort.
- Tu vois ce qui tattend, dit-il au troisième. Un,
deux, trois, quatre, cinq
- Sept, quatre, deux, trois répondit Chichelin
- Je te jure que je nai rien ... mais il neut
pas le temps de terminer sa phrase. Il se retrouva comme
son complice, roué de coups et mort.
Le voleur se remit à compter :
- Un, deux, trois, quatre, cinq
- Sept, quatre, deux, trois dit Chichelin
Le voleur crut quun esprit maléfique se cachait
dans le buisson. Il senfuit sans demander son
reste, laissant son magot sur place.
Chichelin referma
soigneusement le sac, le plaça sur sa tête et repartit
vers sa maison. Il trouva sa mère en pleurs davoir
perdu son enfant.
- Maman, maman, je suis de retour, regarde.
La mère souleva le sac sans même regarder le contenu et
embrassa son fils.
- Mon Chichelin, je suis tellement heureuse de te
retrouver.
Il va sans dire quils vécurent tous les trois
très heureux.
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