Kagsagsuk, l'orphelin
Il était une fois un pauvre orphelin qui vivait parmi des hommes durs dans le Nord du Canada, un endroit qui s'appelle aujourd'hui le Nunavuk. Son nom était Kagsagsuk. Il habitait avec sa vieille mère adoptive dans une misérable cabane, à côté du portail d'une grande maison où il n'avait pas le droit d'entrer. A vrai dire, Kagsagsuk n'osait même pas pénétrer dans la cabane, et il restait couché sur le seuil, cherchant une place chaude parmi les chiens. Lorsque, le matin, les hommes de la grande maison éveillaient leurs chiens avec des coups de cravache, le pauvre garçon en recevait aussi. Comme il avait mal, il criait: "Nah, nah, wa, wa, wa!" et tous se moquaient de lui, parce qu'il se comportait comme un chien. Lorsque les hommes de la grande maison se mettaient à manger toutes sortes d'aliments congelés, de la chair ou de la peau de morse, le petit Kagsagsuk les regardait avec envie de son coin. De temps en temps, ils le faisaient venir, en le soulevant par ses narines. Ils lui jetaient quelques restes de viande congelée, mais sans lui donner de couteau pour la couper. Il était obligé de se servir de ses dents, comme un chien! Un jour, par cruauté et par bêtises, les hommes de la grande maison, lui arrachèrent une dent sur deux au prétexte qu'il mangeait de trop. La vie qui était déjà bien difficile devint insupportable pour Kagsagsuk. Sa mère adoptive qui était brave et bonne lui avait donné des souliers et une petite lance, pour qu'il puisse jouer dehors, devant la maison, avec les autres enfants. Mais ceux-ci le jetaient à terre, car il était resté petit et faible. Ils le roulaient dans la neige puis ils emplissaient ses habits, et le maltraitaient cruellement. Les fillettes aussi, lui jetaient de la neige et de la boue. Ainsi, le pauvre garçon était tourmenté de tous les côtés. Avec le temps, il prit
de l'âge et se risqua à s'éloigner davantage de la
maison, jusque dans les montagnes. Il cherchait des lieux
isolés et réfléchissait à la façon de devenir fort.
Sa mère adoptive avait bien essayé de lui apprendre
mais Kagsagsuk, comme tous les enfants devait faire ses
expériences tout seul. Un grand ours parut.
Kagsagsuk fut tellement effrayé et qu'il se mit à
courir, mais le monstre le rattrapa et le jeta à terre
violemment. Il était incapable de se relever. Il
entendit soudain craquer quelque chose, et il aperçut
une quantité d'os de chien marin, pareils aux osselets
dont se servent les enfants pour jouer dans la cour de
l'école. Les petits os tombaient de son corps comme
l'eau tombe de la cascade. L'ours lui dit: "Ces
petits os ont empêché ta croissance." Il frotta sa
queue autour du corps du garçon et, pour la seconde
fois, de petits os s'en échappèrent. Il recommença une
troisième, une quatrième et même une cinquième fois
et à chaque opération, des petits os tombaient sur le
sol. L'ours lui dit: Kagsagsuk s'en retourna
chez lui, soulagé. Il courut, même, en faisant rouler
des pierres sur sa route. Lorsqu'il approcha de la
maison, des fillettes crièrent: Tous les jours, il
rencontrait l'ours et s'astreignait à chaque fois aux
mêmes exercices. Chaque jour, il se sentait devenir plus
fort. Il roulait maintenant de véritables blocs de
rochers sur la route. Il devenait plus fort de jours en
jours. Enfin, l'ours ne fut plus en mesure de le vaincre,
et lui dit: Un jour d'automne, les
hommes de la grande maison rapportèrent sur l'eau un
gros tronc d'arbre flottant, qu'ils attachèrent à
quelques blocs de pierre sur la plage car ils le
trouvaient bien trop lourd pour l'emporter
immédiatement. A la nuit tombante, Kagsagsuk dit à sa
mère adoptive: Dès que tous furent
couchés, il s'en fut vers la plage, délia les attaches,
jeta le tronc d'arbre sur ses épaules et le porta
derrière la maison où il l'enfouit profondément dans
le sol. Au début de l'hiver,
Kagsagsuk fut encore plus maltraité que par le passé
par les habitants de la grande maison, voisine de la
cabane de sa mère. Mais lui ne modifia en rien sa
manière de se comporter, il continuait à dormir parmi
les chiens afin de ne pas éveiller de soupçon. Lorsque
la mer fut toute recouverte de glace, la chasse aux
phoques fut interrompue et, quand les jours redevinrent
plus longs, des hommes accoururent annonçant qu'on avait
aperçu trois ours polaires escalader un glacier.
Personne n'osa sortir pour aller les combattre. L'heure
d'agir était venue pour Kagsagsuk. Les habitants de la
grande maison le prièrent d'entrer dans leur demeure.
Mais il ne fit que jeter un regard par-dessus le seuil,
selon son habitude, et dit: Quant à ceux qui avaient été bons pour lui, car comme partout il y en avait, il fut bon pour eux, lui aussi. Il répartit entre les affamés ce que les hommes de la grande maison avaient mis de côté pour l'hiver. Il s'occupa des pauvres et s'en alla loin sur la mer, dans son kayak, pour les servir. Il s'en alla vers le Sud, vers le Nord, vers l'Est, vers l'Ouest et accomplit de hauts faits. Aujourd'hui encore, on se montre les traces de ses actes héroïques, - ce qui prouve que l'histoire de Kagsagsuk est vraie. |