Il y était une
fois un pauvre garçon qui chaque jour devait garder les
cochons. Chaque matin, il les menait dans la forêt toute
proche, afin de les engraisser avec les faines des
hêtres et les glands des chênes. Il grandissait et se
trouvait proche de ses dix-huit ans quand un matin, alors
quil sétait aventuré un peu plus loin
quà lordinaire, il se trouva au pied
dun grand arbre. Il était si haut que ses branches
se perdaient dans les nuages. " Mais qu'est-ce
que cet arbre ? Se demanda-t-il. Comme jaimerais
voir le monde depuis le haut de sa cime !
Essayons ! " Il entreprit donc de grimper.
Il grimpa et grimpa encore le long du tronc de
larbre. Il grimpait encore lorsque midi sonna au
clocher de la vieille église ; il grimpait toujours
lorsque le soleil se coucha sur la plaine. Il grimpait
toujours et nétait encore parvenu quaux
premières branches lorsquil fit tout à fait noir.
Heureusement, il était parvenu à une fourche et il
résolut de passer la nuit dans ce nid de fortune
attaché par les lanières de son fouet afin de ne pas
tomber. Lorsquil
se réveilla au matin, il recommença son ascension. A
midi, il était parvenu à une certaine hauteur dans le
branchage sans pour autant voir le sommet de
larbre. Il grimpait toujours lorsque le soir
descendit doucement. Larbre se déployait en une
infinité de branches et ne semblait pas vouloir se
terminer. Il sapprêtait à passer une nuit encore
lié par les lanières de son fouet lorsquil
découvrit un village disposé dans la frondaison de
larbre.
- D'où viens-tu ?
lui demandèrent les paysans, fort surpris à sa vue.
- Je viens den bas, répondit le garçon.
- Tu as donc fait un bien long voyage ! dirent les
paysans. Reste chez nous, nous trouverons à
temployer.
- L'arbre prend-il fin ici ? demanda le garçon.
- Oh non, le sommet est encore un bon bout plus haut.
- Je ne peux donc pas rester chez vous. Mais
jaimerais manger quelque chose. Jai tellement
faim et je suis si las. Pourrais-je passer la nuit
ici ? Demain, je repartirai.
Les paysans lui donnèrent à manger et à boire et le
laissèrent dormir chez eux. Au matin, il remercia pour
leur bon accueil et il se remit en route le long du
tronc.
Le soleil était
déjà très haut dans le ciel quand il parvint à un
immense château. A lune des fenêtres, se tenait
une superbe jeune fille. Celle-ci paru fort réjouie
lorsquelle le vit et elle linvita à venir
demeurer chez elle.
- L'arbre prend-il fin ici ? demanda le garçon.
- Oh non, le sommet est encore un bon bout plus haut mais
tu ne peux aller plus haut. Je ten prie,
implora-t-elle, reste auprès de moi.
- Que fais-tu ici toute seule ? demanda le garçon.
- Je suis la fille dun roi mais un enchanteur
ma enfermée ici pour que jy vive et que
jy meure.
Et elle éclata en gros sanglots.
Le garçon paru ému par les pleurs de la princesse.
- Je veux bien passer un peu de temps auprès de toi et
qui sait, peut-être pourrais-je taider.
Le garçon
pénétra dans le château et comme la fille était belle
et gracieuse, elle lui plut chaque jour un peu plus. Il
resta à ses côtés, un jour, deux jours, trois jours,
une semaine
et le temps sévanouit pour lui.
Ses moindres désirs étaient comblés sans même
quil ait le besoin den parler. Il ne vit
jamais lenchanteur et il vivait heureux dans
larbre auprès de la princesse.
Tout aurait été pour le mieux si la princesse ne lui
avait défendu de pénétrer dans une pièce du château,
une chambre située à lextrême Nord.
Si tu y pénètres, lui avait-elle dit, tu nous rendrais
malheureux lun et lautre
Il avait obéi pendant un certain temps mais lidée
dy aller se faisait un peu plus insistante.
Quest-ce que cela peut bien signifier ? Quelle
est cette chose qui pourrait nous rendre
malheureux ? Je veux le savoir.
Un jour que la
princesse était dans sa chambre occupée à broder, il
prit les clés suspendues dans la grande salle et
sen alla vers la chambre interdite. Il chercha
longtemps la bonne clé et finalement, la lourde porte
souvrit. A lintérieur, il ny avait
rien si ce nest un corbeau noir fixé sur le mur
par trois clous en or. Lun lui traversait le cou et
les deux autres retenaient ses ailes.
- Ah ! Enfin te voilà ! Heureusement que tu
tes décidé à venir ! Je suis presque mort
de soif ! Donne-moi un peu deau qui se trouve
dans la cruche posée sur la table sans quoi je
périrai !
Le jeune homme réfléchit mais son bon cur se
laissa attendrir. Il pensa quen pareille situation,
il serait bien heureux quon lui donne un peu
deau.
Il versa une goutte deau au corbeau dans le bec du
corbeau. A peine avait-elle touché la langue de
loiseau que le clou qui tenait son cou roula sur le
sol.
- Quest-ce que cela ? demanda le garçon.
- Ce nest rien répondit lanimal. Donne-moi
encore une goutte. Ne me laisse pas mourir.
- Si tu le veux, dit le garçon qui versa une seconde
goutte deau sur la langue de loiseau.
- Cette fois, cest le clou qui tenait laile
droite qui roula sur le sol.
- Cen est assez ! dit le garçon.
- Je ten supplie. Sois bon avec moi ! Une
seule goutte. Donne-moi une seule goutte et puis je te
laisserai tranquille.
Lorsque le garçon la lui eut donnée, le troisième clou
se détacha aussitôt. Loiseau, libéré de ses
liens, étendit les ailes et senvola par la
fenêtre en croassant.
Le garçon, fort
effrayé, courut rapidement hors de la chambre dont il
referma à clé la lourde porte. Pourvu que la princesse
ne sen aperçoive pas, se dit-il tout bas.
Hélas ! la princesse sen était aperçue. Au
moment où il pénétrait dans la salle où elle se
trouvait, elle se piqua au doigt et pâle et tremblante,
elle le regarda entrer.
- Tu es allé dans la salle interdite, lui dit-elle.
Lenchanteur qui ma ensorcelé va bientôt
arriver pour menlever et tu me retrouveras
difficilement.
Elle se mit à pleurer et le garçon ne parvint pas à la
consoler même lorsquil lui promit que où
quelle soit par le monde, il la retrouverait.
Le lendemain à
son réveil, la princesse avait disparu. Il resta durant
trois jours et trois nuits à lattendre mais las
dattendre, il se remit en route. Il grimpa et
grimpa encore le long du tronc de larbre. Il
avançait toujours plus haut dans le branchage
jusquà ce quil soit parvenu à une forêt si
dense et si sombre quaucun rayon de lumière ne
réussissait à pénétrer. Il cherchait sa princesse
sans découvrir aucune trace de son passage. Au bout du
troisième jour, il aperçut enfin une clarté dans
lobscurité. Il la suivit et ce nest que
trois jours plus tard quil parvint dans une
clairière où il trouva une petite cabane de chasse. Il
y entra et découvrit sa princesse étendue sur son lit.
- Comment as-tu pu
me retrouver, sétonna-t-elle ?
- Ne tavais-je pas promis de te retrouver où que
tu sois dans le monde ? mais ne perdons pas de
temps. Il faut fuir avant que lenchanteur ne
revienne te chercher.
Ils coururent à travers la forêt sans se retourner
jusquà ce que la princesse, épuisée, demande
grâce. Ils sassirent au pied dun grand
chêne et la princesse posa sa tête sur les genoux de
son compagnon et sendormit. Il la contemplait, tout
à son bonheur de lavoir retrouvée lorsquil
remarqua un petit sac en jute attaché à son cou. Il
louvrit et y découvrit une pierre merveilleuse
tant par sa couleur que par sa forme. Il samusait
à laisser des rayons de lumière la traverser,
sémerveillait de ses reflets et la posa finalement
dans lherbe.
Lorsquil voulut la reprendre, un corbeau
lavait saisie et voletait de branches en branches.
Cest encore un coup de lenchanteur, pensa le
jeune homme effrayé.
Il entreprit de la récupérer et jeta des pierres en
direction de loiseau sans jamais latteindre.
Le corbeau volait de branches en branches ;
darbres en arbres poursuivi par le garçon.
Finalement, il disparut et le garçon voulut revenir vers
la princesse. Il ne retrouva jamais son chemin et
ségara plus profondément dans la forêt.
Il avait marché
longtemps lorsquil rencontra un homme fort beau et
richement vêtu. Il lui expliqua quil cherchait son
amie et lui demanda sil connaissait un grand
chêne.
- Les arbres tel que celui que tu me décris sont
nombreux dans la forêt. Viens plutôt avec moi, tu
ten trouveras bien et tu auras tout le temps pour
réfléchir à ce qu'il te faut faire pour retrouver ta
princesse.
Il suivit lhomme sans prendre attention au chemin
quil suivait, perdu quil était dans ses
pensées et ses remords. Mais tout cela ne changeait rien
à son chagrin.
Ils arrivèrent bientôt près dune belle maison
blanche où onze jeunes garçons étaient assis autour
dune table richement couverte.
- Maintenant que vous êtes au complet, vous resterez
toujours près de moi et vous aurez tout ce que vous
désirerez mais au bout de lannée, il vous faudra
résoudre les trois énigmes. Celui qui ne le pourra
devra mourir alors que celui qui réussira recevra une
bourse pleine dor. Les onze jeunes gens se
réjouirent mais le jeune homme se tut et pensa :
"Que mimporte de mourir ! La vie ne mest
plus une joie. Mais qui sait si je résous les énigmes
si je ne retrouverai pas ma princesse
"
La vie suivait son
cours. Les onze jeunes gens vivaient joyeusement alors
que le douzième restait silencieux dans son coin,
rêvant de sa princesse perdue.
Lorsquelle sétait réveillée, la princesse
avait bien deviné que lenchanteur lui avait encore
joué un tour. Elle se mit donc en route courageusement
dans la forêt et atteint après des jours de marche un
petit village où elle se fit construire une petite
auberge. Elle fit une belle enseigne où l'on pouvait
lire "ici, on reçoit gratuitement ceux qui
sont malades, tristes et sans secours " car
elle pensait que son bien aimé, reviendrait peut-être
un jour, malade et désespéré.
Lannée
avait passé fort vite sans que les onze garçons de la
belle maison naient songé aux trois énigmes. Le
douzième, au contraire, y pensait de plus en plus.
Un soir, quil se sentait anxieux et tourmenté, il
sen alla dans la forêt et sétendit sous un
arbre. Il entendit des oiseaux atterrir sur la cime et il
reconnut la voix de son maître qui, il lui sembla était
aussi celle du corbeau auquel il avait jadis donné à
boire. Il se tint immobile et écouta.
- Demain, dit la voix, nous tuerons douze jeunes garçons
dont celui qui a voulu ravir ma princesse. Celle-ci vit
seule et triste à mourir mais elle va être mienne pour
toujours.
- Comment peux-tu en être si certain ? croassa une
autre voix.
- Demain, ils devront résoudre trois énigmes dont ils
ne connaissent pas les réponses.
- Croa, croa, croa ! Et que sont ces énigmes ?
croassa la troisième voix.
- Ce sont trois toutes petites questions : De quoi
est faite la maison ? Doù vient la
nourriture ? Pourquoi ne fait-il jamais nuit à
lintérieur de la maison ?
- Croa, croa, croa ! Et quelles sont les
réponses ? croassa la seconde voix.
- La maison est faite avec des os dhommes
pécheurs. La nourriture vient de la cuisine du diable et
la lumière vient de la pierre que jai volé au
jeune garçon et qui est suspendue dans la grande salle.
- Croa, croa, croa ! Tous les trois
senvolèrent.
Pour la première fois depuis un an, le garçon passa une
excellente nuit.
Le lendemain, le
maître appela les douze garçons et leur demanda de se
mettre en file, les uns derrière les autres. Il
sinstallèrent et le jeune homme se plaça le
dernier.
- Voici arrivé le jour des énigmes. Répondez-moi les
uns après les autres. De quoi est faite la maison ?
interrogea le maître.
-De glaise, dit le premier ; de bois dit le
second ; de pierres dit le troisième ; de
briques dit le quatrième ; de boue dit le
cinquième ; de torchis dit le sixième ; de
paille dit le septième ; de verre dit le
huitième ; de fer dit le neuvième ; de
cailloux dit le dixième ; de carton dit le
onzième ; dos dhommes pécheurs dit le
dernier.
- Tu as deviné juste mais passons à la seconde énigme.
- Doù provient la nourriture que vous
manger ?
- De la cuisine, dit le premier ; de la forêt dit
le second ; de la gargote dit le troisième ;
de la voisine dit le quatrième ; des animaux dit le
cinquième ; du jardin dit le sixième ; du
marché dit le septième ; des arbres dit le
huitième ; des racines dit le neuvième ; de
la mer dit le dixième ; du ciel dit le
onzième ; de la cuisine du diable dit le dernier.
- Tu as deviné juste mais passons à la troisième
énigme.
- Doù vient la lumière qui éclaire si vivement
la maison jusque dans la nuit ?
- Dune lampe, dit le premier ; du soleil dit
le second ; de la lune dit le troisième ; des
étoiles dit le quatrième ; du feu dit le
cinquième ; de la terre dit le sixième ; de
la forge dit le septième ; dune bougie dit le
huitième ; de la foudre dit le neuvième ; de
la mer dit le dixième ; du ciel dit le
onzième ; de la pierre que tu mas volée et
qui se trouve au plafond dit le dernier.
- Tu as deviné juste. Voici la bourse qui ne
sépuise jamais et il trancha la tête aux onze
autres compagnons du jeune homme qui dans l'intervalle
sétait précipité dans la grande salle et avait
récupéré la pierre de la princesse. Il s'était remis
en route, toujours plus haut dans larbre, sans
grand espoir pourtant de revoir la princesse.
Il errait las,
misérable, malheureux lorsquil se présenta devant
lauberge construite par la princesse. Il lut
lenseigne mais il avait bien les moyens de payer
son gîte grâce à la bourse qui ne se vide jamais. Il
entra et fut accueilli par la princesse. Ils ne se
reconnurent cependant pas tant les années les avaient
changés lun et lautre. Une servante le
conduisit vers sa chambre et voulut lui faire de la
lumière.
- Ce nest pas la peine, déclara-t-il et il tira de
sa poche la pierre lumineuse qui éclaira toute la
pièce.
La servante se précipita chez sa maîtresse pour lui
raconter le prodige. La princesse très intéressée se
rendit auprès de son hôte et lui demanda doù
provenait cette pierre. La question à peine posée, ils
se reconnurent à la lumière magique.
Après que la
princesse leut bien soigné, ils eurent tous deux
le désir de retourner dans leur patrie et entreprirent
la longue descente vers la terre. Lorsquils furent
arrivés tout en bas, ils ne se retrouvèrent rien de
paysages quils avaient laissés. Aux champs avaient
fait place des gratte-ciel et des autoroutes. Personne ne
les reconnut. Leurs parents étaient morts depuis
longtemps. Ils se rendirent compte queux aussi
étaient devenus bien vieux. Ils tombèrent en poussière
et personne ne put jamais expliquer qui ils étaient et
doù ils venaient. A côté du petit tas de cendre,
on retrouva la pierre brillante quun enfant emporta
et personne nen entendit plus jamais parler.
|