LE
OUISTITI
(V2) |
Ça n’avait d’abord été qu’une rumeur, de vagues on-dits, des ragots colportés par le vent ou par quelques indélicats. Puis, peu à peu, la nouvelle était devenue officielle. Des hérauts parcourraient le pays en tous sens proclamant haut et fort que « Son Altesse, la princesse à la tour aux douze fenêtres épouserait celui qui parviendrait à se cacher d’elle. » Bientôt, de tous les coins du royaume, se sont mis en marche des dizaines de jeunes hommes forts, vigoureux, fougueux, confiants dans l’avenir et leur bonne étoile. La princesse, installée tout au sommet de sa tour dans sa vaste salle circulaire tendue de soie écarlate, bien éclairée par les douze fenêtres les regarde s’avancer. Une intense jubilation s’empare d’elle. Elle va enfin pouvoir se divertir autrement qu’en inspectant chaque recoin de son royaume par sa première fenêtre. Elle ne regarde que rarement par la seconde et encore moins par la troisième et jamais par les autres. La vision est bien trop nette et elle n’en peut plus de tout voir, de tout savoir. Elle pourrait, c’est vrai, se mettre à broder, lire, écrire, se promener, visiter ses sujets nécessiteux mais elle tient toutes ces activités pour vulgaires et peu dignes d’elle. Elle a le pouvoir. Elle est le pouvoir et tient à le conserver. Personne ne réussira jamais le défi et elle pourra continuer à régner seule et sans partage. Chaque matin, un valeureux champion se présente à sa porte. Elle le reçoit sans chaleur dans un cabinet sombre aux murs grenats sans la moindre ouverture vers l’extérieur. L’endroit est inhospitalier et empreint de lourdeur à l’image de la princesse parée comme une châsse et du trône en or ciselé. La princesse est fort belle mais son manque de compassion lui fige le visage qu’on croirait en cire. Elle porte des robes magnifiques aux couleurs subtiles, indéfinissables et qui sont chaque jour différentes. Au concurrent, elle égrène les articles du règlement qu’elle a édicté d’une voix absente et monocorde. Puis, sans un mot d’encouragement, sans un regard, elle donne son congé au compétiteur. Certains effrayés par la décapitation promise s’en retournent chez eux. D’autres, plus courageux ou inconscients tentent leur chance et le soir, leur tête va rejoindre un des cent pieux qui borde l’allée du château. C’est un bien triste spectacle en vérité que ces têtes décharnées pour les plus anciennes, sanguinolentes pour les plus fraîches. Triste spectacle qui n’engage plus de nouveaux concurrents à tenter leur chance. Nonante-sept fois déjà le bourreau a frappé. Nonante-sept vie ont été ravies par une belle au cœur de pierre. Un jour, pourtant, par sa première fenêtre, la princesse voit arriver au pied de sa tour trois cavaliers. Ils sont jeunes. Ils sont beaux. Et bientôt, ils sont à ses pieds, à sa merci. - Majesté, nous sommes vos humbles sujets. Permettez que mes frères et moi relevions le défi. Je suis l’aîné et mon droit d’aînesse m’octroie la chance de tenter ma chance en premier lieu. L’aîné a son idée. La fosse à chaux lui semble la cachette idéale. Hélas ! après quelques minutes, la princesse le découvre et sa tête va rejoindre le nonante-huitième pieu. Le second, fort de l’expérience malheureuse de son frère, se terre dans les caves du château. Il est persuadé qu’elle ne pensera jamais à le chercher là. Hélas ! sa tête rejoint le nonante-neuvième pieu. Le plus jeune, sans doute le plus hardi, s’en revient chez la princesse. Il n’a rien à perdre si ce n’est sa tête. Il lui demande un sursis. Quelques heures. Une journée pour réfléchir. - Accordé ! s’écrie la princesse dont les yeux pétillent d’une minuscule flamme inhabituelle. Je t’offre même trois chances en trois jours mais prends bien garde ; si je te trouve, c’en est fini de toi et tu iras rejoindre tes deux frères. Vois comme je suis généreuse mais je dois te dire que tu n’as aucune chance. La nuit ne porte pas toujours conseil car au matin, le jeune homme n’a toujours aucun plan. Il tourne comme un lion dans sa cage. Plutôt que de s’épuiser en vaines pensées, il décide de s’en aller dans la forêt. La chasse est un excellent sport pour les esprits torturés et le meilleur remède contre les idées noires. A peine entré dans la forêt,
il aperçoit un corbeau qui s’envole. Il arme, vise et au moment où
le coup va partir, il entend : Il poursuit sa chasse. Ses
pas le mènent vers un étang où glisse à la surface un beau poisson
argenté. Il arme, vise et au moment où le coup va partir, il entend : Il reprend sa recherche et
découvre au cœur d’un clairière un magnifique renard qui claudique.
Il arme, vise et tire. La balle siffle aux oreilles de l’animal et
continue sa course vers un grand chêne. Un peu honteux, le jeune
homme s’exécute mais dès qu’il voit le renard à nouveau sur ses
pattes, il éprouve un profond désir de le tirer. L’animal doit le
sentir car il le regarde tout au fond des yeux et lui dit : Sans prise de chasse et sans idée pour le lendemain, le jeune homme regagne son logis. Sa nuit s’écoule sans rêve. L’aube vient. Elle n’amène pas de solution. Et déjà la grande faucheuse montre le bout de son nez. Comment peut-il faire pour échapper à la mort ? Il pense au corbeau. Le corbeau toute aile
repliée dort sur son nid en tout en haut d’un arbre. La princesse en haut de sa
tour inspecte chaque recoin de son royaume. Elle regarde par ses fenêtres. Accablé, le jeune homme
rentre chez lui et attend dans l’angoisse l’arrivée du jour
nouveau. Aux premières lueurs de l’aube, il part à la recherche du
poisson argenté. Au même moment, la
princesse en haut de sa tour inspecte méthodiquement son royaume. Elle
regarde par ses fenêtres. Le jeune homme ne peut pas
dormir de la nuit. Dès potron-minet, il part à la recherche du renard.
La peur au ventre et le cœur en lambeaux, il avance parmi les arbres et
les ronces jusqu’à la clairière. Le renard est là qui se roule dans
l’herbe humide du matin. Il arrivent près d’une
source. Le jeune homme hésite
puis entre dans l’eau. Il en ressort sous la forme d’un ouistiti,
une adorable petite boule de poils bruns qui en parvient pas à savoir
ce qu’il doit faire de ses bras trop longs. Le forain entre dans le
village en déversant dans les rues des flots de musique. Toutes les
commères sortent de chez elle et s’assemblent autour de lui. Elle
admire les cabrioles du ouistiti. Une plus vieille regarde de temps en
temps vers le sommet de la tour l’air inquiet. Il ne faut pas
s’attarder sans quoi… mais c’est tellement gai et on n’a si peu
de joie au pied de la tour. Voilà que les ménagères se mettent à
danser. Soudain, elles s’arrêtent, se séparent et s’écartent. La
princesse est là, souriante. Elle rit des facéties du petit singe puis
elle sort de sa poche une bourse de cuir et la tend au forain. La princesse remonte dans
sa tour. Elle pose le ouistiti sur son épaule et aussitôt, il se cache
dans ses cheveux. Arrivée au sommet, elle regarde par ses fenêtres. Le ouistiti ne se le fait
pas die deux fois. Il court vers la forêt à la recherche du montreur
d’animal. Il ne trouve qu’un renard occupé à compter ses pièces
d’or. Ils se quittent chacun allant vers son destin. Le jeune homme entre dans
le château où la princesse l’attend. |