C'était
un après midi. Nicolas se trouvait dans un grand magasin avec
ses parents et son petit frère. Il avait besoin de chaussures.
L'hiver arrivait et il lui fallait des souliers chauds.
Il y avait une foule incroyable. Les gens se bousculaient dans
les rayons. Le papa de Nicolas était sorti avec le petit frère,
car celui-ci commençait à s'énerver.
Nicolas avait remarqué qu'une petite fille blonde le regardait
avec un sourire enjôleur. Il ne voulait surtout pas monter qu'elle
lui plaisait. Il l'épiait par-dessus les boites de chaussures.
A huit ans et demi, on ne veut surtout pas que les adultes remarquent
que déjà on s'intéresse aux demoiselles
-Alors Nicolas, tu te décides de choisir la couleur ? lui dit
sa
maman. Ca fait vingt minutes que tu changes d'avis.
- J'ai chaud. Il fait trop chaud ici, répondit-il d'une voix
énervée.
- C'est vrai, tu as le visage tout rouge. Plus vite tu
choisiras et plus vite nous sortirons du magasin.
Sortir ! il n'en était pas question. Ne plus voir cette beauté,
quel sacrilège ! Non, il fallait qu'il fasse durer le plaisir.
Elle le regardait toujours et lui faisait un signe d'approbation de
la tête.
- Après réflexion, dit il, je vais essayer celles-ci.
Puis, si elles me vont ; je les prends !
- Très bien !dit la maman
Par bonheur,
les souliers étaient trop grands, ce qui lui permettait de
gagner un peu de temps.
- Je veux celles-là. La couleur me plaît mais mon pied
nage à
l'intérieur.
- Vraiment ?
La maman excédée demanda :
- Tu es sûr qu'elles te plaisent vraiment car je ne les rendrai
pas après.
- Oui ! répondit Nicolas.
Elles n'étaient pas spécialement à son goût,
mais pour les beaux yeux de la belle, il ferait un effort.
Une responsable de rayon s'approcha.
Pendant ce temps, le soleil se cachait derrière les nuages.
La nuit tombait rapidement en cette saison.
- Vous auriez les mêmes une pointure en dessous ?
- Non Madame, il ne nous reste que ce modèle et cette pointure
en rayon.
Comme la maman de Nicolas ne voulait pas passer encore deux heures
dans le magasin, elle demanda s'il pouvait les essayer avec des semelles.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nicolas en levant la tête
s'aperçut qu'ELLE avait disparu. Il était triste. Rien
n'avait plus d'importance. Il se moquait bien de la couleur de ses
chaussures.
Les deux pieds dans ses nouvelles chaussures, Nicolas se retrouva
dans la rue le lendemain.
Si vous saviez comme il s'en fichait de ses chaussures. Toutes ses
pensés étaient fixées sur l'image que lui avait
laissé la petite fille blonde du magasin.
Essayant de marcher sur son ombre le cur triste, il déambulait
dans la rue.
Au bout d'un certain temps, il crut entendre un gémissement.
Mais il n'avait pas l'âme charitable pour s'intéresser
au plaignant.
- Aie
aie
Aie
aie !
Le gémissement le suivait. Il s'arrêta. Les gémissements
aussi.
Se tournant à gauche puis à droite, il n'y avait personne
derrière lui.
- Pff ! dit-il.
Puis il reprit son chemin et le fil de ses pensés.
- Aie... aie... aie !
Là il s'arrêta net en comprenant que les cris venaient
de ses pieds.
Se frottant les yeux, se débouchant d'un doigt les oreilles,
il leva et secoua un pied puis l'autre et tenta à nouveau de
marcher.
- Aie
aie !
Nicolas s'assit au bord du trottoir, se déchaussa et regarda
ses pieds. Ils étaient comme d'habitude. C'était de
l'intérieur de ses chaussures que venaient les cris et c'étaient
les semelles qui criaient. Il ôta l'une puis l'autre des chaussures.
Il préférait des chaussures trop grandes que d'entendre
des cris.
En relevant la tête, il se trouva nez à nez avec la petite
fille du magasin. Elle le regardait avec les mêmes yeux, le
même sourire, mais elle n'était pas habillée aussi
propre et nette que l'autre jour. Ses vêtements étaient
déchirés et elle portait aux pieds des souliers trop
grands pour elle.
Nicolas lui tendit ses semelles tout en lui disant qu'elles gémissaient.
Elle en rit et accepta de les prendre puis les enfila dans ses souliers.
Curieusement, celles-ci ne criaient pas sous ses pas.
Et les souliers de Nicolas comme par magie lui allaient parfaitement.
La petite fille lui dit merci, lui tendit la main, et tous les deux
partirent dans la même direction, un pied devant l'autre
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