RIQUET A LA HOUPPE
Il était une fois une
reine qui accoucha d'un fils, si laid et si mal fait,
qu'on douta longtemps s'il avait forme humaine. Une fée
qui se trouva à sa naissance assura qu'il ne laisserait
pas d'être aimable, parce qu'il aurait beaucoup
d'esprit; elle ajouta même qu'il pourrait, en vertu du
don qu'elle venait de lui faire, donner autant d'esprit
qu'il en aurait à celle qu'il aimerait le mieux. Tout
cela consola un peu la pauvre reine, qui était bien
affligée d'avoir mis au monde un si vilain marmot. Il
est vrai que cet enfant ne commença pas plus tôt à
parler qu'il dit mille jolies choses, et qu'il avait dans
toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel, qu'on
en était charmé. J'oubliais de dire qu'il vint au monde
avec une petite houppe de cheveux sur la tête, ce qui
fit qu'on le nomma Riquet à la houppe, car Riquet était
le nom de la famille. ******************** Au bout de sept ou huit
ans la reine d'un royaume voisin accoucha de deux filles.
La première qui vint au monde était plus belle que le
jour: la reine en fut si aise, qu'on appréhenda que la
trop grande joie qu'elle en avait ne lui fit mal. La
même fée qui avait assisté à la naissance du petit
Riquet à la houppe était présente, et pour modérer la
joie de la reine, elle lui déclara que cette petite
princesse n'aurait point d'esprit, et qu'elle serait
aussi stupide qu'elle était belle. Cela mortifia
beaucoup la reine; mais elle eut quelques moments après
un bien plus grand chagrin, car la seconde fille dont
elle accoucha se trouva extrêmement laide. ******************** A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crûrent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l'aînée, et de l'esprit de la cadette. Il est vrai aussi que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l'âge. La cadette enlaidissait à vue d'oeil, et l'aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondait rien à ce qu'on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite qu'elle n'eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d'une cheminée sans en casser une, ni boire un verre d'eau sans en répandre la moitié sur ses habits. Quoique la beauté soit un grand avantage chez une jeune femme, cependant la cadette l'emportait presque toujours sur son aînée dans toutes les soirées. D'abord on allait du côté de la plus belle pour la voir et pour l'admirer, mais bientôt après, on allait à celle qui avait le plus d'esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables, et on était étonné qu'en moins d'un quart d'heure l'aînée n'avait plus personne auprès d'elle, et que tout le monde s'était rangé autour de la cadette. L'aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien, et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l'esprit de sa soeur. La reine, toute sage qu'elle était, ne put s'empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise, ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse. ******************** Un jour qu'elle s'était
retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle
vit venir à elle un petit homme fort laid et fort
désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C'était
le jeune prince Riquet à la houppe, qui étant devenu
amoureux d'elle d'après ses portraits qui circulaient
par tout le monde, avait quitté le royaume de son père
pour avoir le plaisir de la voir et de lui parler. Ravi
de la rencontrer ainsi toute seule, il l'aborde avec tout
le respect et toute la politesse imaginables. Ayant
remarqué, après lui avoir fait les compliments
ordinaires, qu'elle était fort mélancolique, il lui
dit: ******************** La princesse avait si
peu d'esprit, et en même temps une si grande envie d'en
avoir, qu'elle s'imagina que la fin de cette année ne
viendrait jamais; de sorte qu'elle accepta la proposition
qui lui était faite. Elle n'eut pas plus tôt promis à
Riquet à la houppe qu'elle l'épouserait dans un an à
pareil jour, qu'elle se sentit tout autre qu'elle
n'était auparavant; elle se trouva une facilité
incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le
dire d'une manière fine, aisée et naturelle. Elle
commença dès ce moment une conversation galante et
soutenue avec Riquet à la houppe, où elle brilla d'une
telle force que Riquet à la houppe crut lui avoir donné
plus d'esprit qu'il ne s'en était réservé pour
lui-même. Quand elle fut retournée au palais, toute la
cour ne savait que penser d'un changement si subit et si
extraordinaire, car autant qu'on lui avait entendu dire
d'impertinences auparavant, autant lui entendait-on dire
des choses bien sensées et infiniment spirituelles.
Toute la cour en eut une joie qui ne peut s'imaginer; il
n'y eut que sa cadette qui n'en fut pas bien aise, parce
que n'ayant plus sur son aînée l'avantage de l'esprit,
elle ne paraissait plus auprès d'elle qu'une guenon fort
désagréable. Le roi se conduisait selon ses avis, et
allait même quelquefois tenir le conseil dans son
appartement. Le bruit de ce changement s'étant répandu,
tous les jeunes princes des royaumes voisins firent
grands efforts pour s'en faire aimer, et presque tous la
demandèrent en mariage; mais elle n'en trouvait point
qui eût assez d'esprit, et elle les écoutait tous sans
s'engager avec l'un d'eux. Cependant il en vint un si
puissant, si riche, si spirituel et si bien fait, qu'elle
ne put s'empêcher d'avoir de la bonne volonté pour lui.
Son père, s'en étant aperçu, lui dit qu'il la faisait
la maîtresse sur le choix d'un époux, et qu'elle
n'avait qu'à se déclarer. Comme plus on a d'esprit et
plus on a de peine à prendre une ferme résolution sur
cette affaire, elle demanda, après avoir remercié son
père, qu'il lui donnât du temps pour y penser. Elle
alla par hasard se promener dans le même bois où elle
avait trouvé Riquet à la houppe, pour rêver plus
commodément à ce qu'elle avait à faire. Dans le temps
qu'elle se promenait, rêvant profondément, elle
entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de
plusieurs gens qui vont et viennent et qui agissent.
Ayant prêté l'oreille plus attentivement, elle entendit
que l'un disait: ******************** La princesse n'eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la houppe parut à ses yeux l'homme du monde le plus beau, le mieux fait, et le plus aimable qu'elle eût jamais vu. Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent, mais que l'amour seul fit cette métamorphose. Ils disent que la princesse ayant fait réflexion sur la persévérance de son amant, sur sa discrétion, et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps, ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d'un homme qui fait le gros dos; et qu'au lieu que jusqu'alors elle l'avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu'un certain air penché qui la charmait; ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants, que leur dérèglement passa dans son esprit pour la marque d'un violent excès d'amour, et qu'enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d'héroïque. Quoi qu'il en soit, la princesse lui promit sur-le-champ de l'épouser, pourvu qu'il en obtint le consentement du roi son père. Le roi ayant su que sa fille avait beaucoup d'estime pour Riquet à la houppe, qu'il connaissait d'ailleurs pour un prince très spirituel et très sage, le reçut avec plaisir pour son gendre. Dès le lendemain les noces furent faites, ainsi que Riquet à la houppe l'avait prévu, et selon les ordres qu'il en avait donnés longtemps auparavant. |