Il était une fois à Galway, en Irlande, un petit
tailleur qui se mit en route, un beau matin, pour aller voir le roi, à
Dublin.
Il venait à peine de partir lorsqu’il rencontra un cheval tout blanc.
Comme il était bien élevé, il le salua.
- Le ciel vous aide! dit-il.
- Le ciel vous aide! répondit le cheval. Où partez-vous si tôt matin
?
- Je vais à Dublin, dit le tailleur, afin de bâtir une tour pour le
roi, et obtenir ainsi sa fille en mariage.
Il faut savoir que depuis des mois, les envoyés du roi
sillonnaient les villes et les villages d’Irlande afin de trouver
celui qui serait capable de bâtir une tour pour le roi. En échange, le
souverain avait promis sa fille en mariage ainsi qu’une très grosse
somme d'argent. Hélas ! de nombreux Irlandais avaient essayé de
bâtir la tour, mais, à chaque fois, trois géants qui vivaient dans un
bois voisin venaient jeter par terre pendant la nuit l'ouvrage fait
durant le jour, et par-dessus tout, ils mangeaient le constructeur.
Alors, le cheval dit au petit tailleur :
- Si tu voulais d'abord me faire un trou où je puisse me cacher, j’en
serais bien heureux. Je suis fatigué d’aller au moulin ou au
labourage. Quand les gens viendront me chercher, ils ne me trouveront
pas !
- Volontiers, dit le petit tailleur.
Il tira de son sac sa bêche et sa truelle et fit un trou. Il demanda au
cheval d'y entrer, pour voir s'il était assez grand mais quand le
cheval blanc fut entré dans le trou, il n'en put plus sortir.
- Fais-moi un chemin par où je puisse sortir du trou quand je voudrai,
dit le cheval.
- Oh! pas encore, dit le tailleur. Reste ici jusqu'à ce que je
revienne, et alors je te ferai sortir.
Le jour suivant, le petit tailleur rencontra un renard.
- Le ciel vous aide! dit le renard.
- Le ciel vous aide! dit le tailleur.
- Où t'en vas-tu si tôt matin ? demanda le renard.
- Je vais à Dublin, voir si je peux bâtir une tour pour le roi.
- Si tu voulais d'abord m'arranger un endroit où je puisse me cacher,
dit le renard. Les autres renards me battent et m'empêchent de manger.
- Bien volontiers, dit le petit tailleur.
Il prit sa hache et sa scie et fit un joli terrier. Il demanda ensuite
au renard d'y entrer pour voir s'il était assez grand. Le renard y
entra, et le tailleur ferma l'entrée.
- Laisse-moi sortir, à présent, dit le renard.
- Pour ça non, dit le tailleur. Attends ici jusqu'à ce que je
revienne.
Le jour suivant, il rencontra un buffle.
- Le ciel vous aide! dit le buffle.
- Le ciel vous aide! répondit le tailleur.
- Où t'en vas-tu si tôt matin ? demanda le buffle.
- Je vais à Dublin, voir si je peux bâtir une tour pour le roi.
- Si tu voulais d'abord me faire une charrue, dit le buffle; les autres
buffles et moi, nous pourrions labourer jusqu'à ce que vienne la
moisson.
- Bien volontiers, dit le tailleur.
Il prit sa hache et sa scie, et fit une charrue. Dans le timon, il y
avait un trou, et quand le buffle vint essayer la charrue, le tailleur
lui prit la queue et l'enfonça dans le trou, où il la fixa avec une
cheville, de sorte que le buffle ne put pas la retirer.
- Laisse-moi aller, maintenant, dit le buffle.
- Pour ça non, répondit le petit tailleur, attends ici jusqu'à ce que
le revienne; et il repartit pour Dublin.
Quand il arriva dans la capitale, il engagea des maçons et
commença à bâtir la tour. A la fin du premier jour, il fit poser une
grosse pierre en équilibre sur le mur, et plaça un levier dessous, de
façon à pouvoir la faire bouger facilement. Ensuite, les maçons s'en
allèrent, mais le tailleur se cacha derrière le mur.
Lorsque la nuit fut venue, les trois géants sortirent du bois, et
commencèrent à démolir la tour. Mais quand ils arrivèrent sous la
grosse pierre, le petit tailleur fit manœuvrer son levier et la pierre
tomba sur un des géants et le tua. Les deux autres furent si étonnés
qu'ils se sauvèrent tout de suite.
Les maçons revinrent le lendemain matin, et travaillèrent jusqu'à la
nuit; puis ils mirent la pierre sur le mur, avec le levier, comme la
veille, et s'en retournèrent, mais le tailleur se cacha encore
derrière le mur.
Quand tout le monde fut endormi, les deux géants revinrent, et comme
ils approchaient de l'endroit où se trouvait la grosse pierre, le
tailleur fit manœuvrer son levier, et la pierre tomba sur un des géants
et le tua. Le troisième géant s'en alla, et ne revint plus.
Quand la tour fut finie, le petit tailleur demanda au roi
l'argent et la princesse, mais le roi lui dit qu'il ne les aurait pas
avant d'avoir tué le troisième géant.
- Bon, dit le petit tailleur, ce ne sera pas long.
Il alla dans la forêt, et, quand il arriva chez le géant, il lui
demanda s'il n’aurait pas besoin d'un domestique.
- Oui, dit le géant, à condition qu'il puisse faire tout ce que je
ferai moi-même, sans cela, je le mangerai.
- Je ferai tout ce que tu feras, dit le tailleur.
Ils entrèrent dans la caverne où le dîner était en train de cuire,
et le géant demanda au tailleur s'il oserait boire autant de bouillon
brûlant qu'il en avalerait lui-même.
- Certainement, dit le tailleur, laissez-moi seulement une heure pour me
préparer.
Il alla acheter un grand morceau de cuir, dont il fit un sac qu'il
glissa sous ses habits. Puis il rentra et dit au géant de commencer. Le
géant avala une soupière de bouillon brûlant.
- Ce n'est que ça ? dit le tailleur. Et il versa une soupière de
bouillon brûlant dans son sac en faisant semblant de le boire. Le
géant avala une autre soupière, et le tailleur continua son manège,
puis il dit :
- Je vais faire à présent une chose que tu n'oseras jamais faire.
- Quoi ? demanda le géant.
- Je vais faire un trou dans mon estomac et laisser couler le bouillon,
dit le tailleur.
Et il prit son couteau, et fendit le sac de cuir, et le bouillon coula
par terre.
- A ton tour, dit-il.
Le géant se donna un grand coup de couteau, si fort qu'il se fendit le
ventre et en mourut.
Le petit tailleur alla trouver le roi et réclama la
princesse et l'argent, disant qu'il jetterait le château par terre si
on ne les lui donnait pas. Les gens de Dublin eurent peur et on lui
donna la princesse et l'argent.
Lorsque le petit tailleur fut parti, dans une belle voiture
à deux chevaux emmenant avec lui la princesse, le roi et les gens de la
ville se repentirent de la lui avoir donnée et ils se mirent à courir
après lui. Ils arrivèrent bientôt à l'endroit où était le buffle,
et celui-ci leur dit :
- Si vous me relâchez, je galoperai après eux et je les atteindrai.
Ils relâchèrent le buffle, et voilà le buffle et les gens de Dublin
courant après le petit tailleur et la princesse.
Quand ils arrivèrent à l'endroit où était le renard, le renard leur
dit :
- Si vous me laissez sortir, je courrai " après eux et je les
atteindrai.
Ils laissèrent sortir le renard, et voilà le renard, le buffle et les
gens de Dublin courant après le petit tailleur et la princesse.
Quand ils arrivèrent à l'endroit où était le vieux cheval blanc, le
cheval leur dit :
- Si vous voulez me laisser sortir, je courrai et je les atteindrai.
Ils le laissèrent sortir, et voilà le cheval, le renard, le buffle et
les gens de Dublin courant après le petit tailleur et la princesse.
Lorsque le petit tailleur se vit poursuivi, il descendit de la voiture
et s'assit par terre, sur ses talons.
- Ah! dit le vieux cheval blanc; c'est comme cela qu'il se tenait quand
il faisait le trou dont je n'ai pas pu sortir! Je ne vais pas plus loin.
- Ah! dit le renard; c'est comme cela qu'il se tenait quand il fit le
terrier dont je n'ai pas pu sortir! Je ne vais pas plus loin.
- Ah! dit le buffle; c'est comme cela qu'il se tenait quand il faisait
la charrue dont je n'ai pas pu me débarrasser! Je ne vais pas plus
loin.
Voyant cela, les gens de Dublin prirent peur et s'en retournèrent
aussi.
Le tailleur et la princesse arrivèrent à Galway et ils y
vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours.
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